Le pilier central de l’économie ivoirienne, l’agriculture, traîne de nombreux handicaps. Une de ces lacunes reste une réelle politique de dynamisation du secteur. Certes, avec la mise en place des Conseils pour les principales cultures pérennes, un grand pas a été franchi. Mais il est de notoriété publique que les organes mis en place pèchent par diverses insuffisances. Par ailleurs, les cultures vivrières sont, elles, abandonnées à leur sort, à telle enseigne que hormis les périodes de pluies où elles surabondent sur les marchés, trouver des produits vivriers en morte saison est un réel défi qui est rarement relevé par les populations. La raison principale est une mauvaise pratique des techniques culturales qui ne prévoient pas des possibilités d’assurer des pratiques culturales qu’en saison sèche.
Par conséquent, tomates, ignames, banane, aubergine, gombo, manioc et toutes les autres denrées alimentaires se raréfient sur nos marchés en mauvaise saison, à telle enseigne que le prix, lorsqu’il en existe est hors de portée des bourses. Un autre paradoxe de notre système agricole est la mauvaise distribution des produits cités. En effet, toutes les productions sont dirigées vers les grandes villes, et plus particulièrement sur Abidjan. Et il n’est pas rare que les populations des villes de l’intérieur se voient contraintes d’ « importer » les produits vivriers d’Abidjan justement où la saturation créée, les coûts en deviennent abordables. Or des mesures simples comme la création de conditions de productions en contre-saison et la sensibilisation des paysans à l’effet de mieux appréhender la culture des produits vivriers, avec en aval la mise en place d’une meilleure politique de distribution aurait des effets salvateurs. Un autre problèmes constitue une plaie de notre agriculture.
PLAIDOYER POUR LE FINANCEMENT DES COOPERATIVES
Selon les clauses de la CEDEAO, les coopératives agricoles ont été sommées de se muer en sociétés coopératives. Avec cette nouvelle dénomination, les agriculteurs devraient disposer d’outils adéquats devant leur permettre de mener à bien leurs activités, en bénéficiant notamment de financements, non seulement des Conseils du café-cacao et du Coton et de l’Anacarde, mais aussi de contracter des crédits auprès des banques.
Cette dernière condition devrait aider ces entreprises de jouer pleinement leur rôle de pourvoyeuses de deniers, mais aussi de créatrices d’emplois. Mais grande est la déception de constater que les coopératives pouvant accéder au système de crédit bancaire se comptent sur les bouts des doigts. «Le fonds de garantie a été créé aussi pour financer les sociétés coopératives. Mais ce n’est pas le cas. On voit plutôt les multinationales créer de toute pièce des coopératives, recruter des pisteurs et des acheteurs de produits pour mener une concurrence déloyale avec les coopératives normalement constituées. Il faut saluer l’action du Président Ouattara qui a mis en place les structures qui gèrent les cultures pérennes.
Mais il faut tout aussi déplorer le manque de financement des coopératives et aussi les ratées dans les missions du conseil du Café-cacao » déplore M.O, un planteur de café et de cacao d’Abengourou. Selon lui, les paysans sont quasiment livrés à eux-mêmes, et ne peuvent pas travailler sur le long terme sans difficultés. Il faut pour rester viables, que les coopératives bénéficient de l’aide des banques, de crédits remboursables sur le moyen terme à des taux d’intérêt supportables. Ceci pourrait leur permettre de recruter des agents, de moderniser leurs activités et d’envisager la primo-transformation des produits, accroissant la valeur-ajoutée en luttant du coup contre le chômage.
Si cette étape est franchie, les producteurs et les coopérateurs que nous avons rencontrés sont convaincus que la paupérisation disparaîtra progressivement du pays, étant entendu que le secteur primaire reste le plus grand pourvoyeur d’emplois. Si les producteurs saluent le prix garanti fixé à 60% du prix à l’international de leur cacao et de leur café, ils souhaitent ardemment que soit revu à la hausse le budget de l’agriculture afin de donner plus de possibilités aux professionnels du secteur. Une modernisation et une industrialisation plus agressive du secteur agricole sont également attendues. « On doit pouvoir créer des zones de stockage centralisées dans les régions pour désengorger les ports. De cette façon, les produits ne sont conduits vers les ports que pour être immédiatement embarqués dans les bateaux. Ce sont des actions qui créeront des emplois pour les jeunes. La fonction publique est saturée et ne peut embaucher tous les demandeurs d’emploi » conseille M.O. Un autre handicap de notre production agricole est la fuite des productions vers le Ghana voisin.
UNE FUITE PREMEDITEE DES PRODUITS
La fuite du cacao et de l’anacarde vers le Ghana à partir de l’Est du pays (Régions du Sud-Comoé, de l’Indénié-Djuablin, du Gontougo et du Bounkani) est un secret de polichinelle. Le phénomène est d’autant plus scandaleux qu’il se déroule en plein jour et concerne également des camions venus des autres régions du pays. « Les convois de camions remplis de produits traversent tout le pays au vu et su de tous. Plusieurs incidents ont été enregistrés cette année dont un à Takikro à la frontière ghanéenne.
Là-bas les jeunes villageois s’en sont pris aux douaniers qui voulaient empêcher le trafic. Ils ont mis le feu à leur guérite. Un autre cas grave s’est produit en pleine ville d’Abengourou où des douaniers venus arraisonner un camion transportant du cacao vers le Ghana ont été pris à partie par une horde de jeunes. Sans soutien, les douaniers en dû battre en retraite. » déplore M.O. Or la fuite du cacao fait courir un grave danger à l’économie du pays. Selon certaines informations en juin 2017, l’on estimait à plus de 120.000 tonnes de cacao, la quantité de cacao sortie frauduleusement de la Côte d’ivoire vers le pays de N’krumah.
Le laxisme de l’Etat ivoirien est montré du bout des doigts dans ce grave problème. En effet, au Ghana, la sévérité des sanctions pour tout trafiquant de cacao dissuade les éventuels contrevenants. A telle enseigne que jamais, même lorsque le cours est inférieur dans ce pays par rapport à la Côte d’Ivoire, personne ne songe à venir vendre son produit ici. Or chez nous, ce sont les autorités (administratives, villageoises, douanières, policières…), les pisteurs, les acheteurs, les coopératives et les jeunes désœuvrés qui organisent le honteux trafic qui compromet le rêve d’émergence de notre pays. Un autre danger guette le pays. Directement lié à l’agriculture, le couvert forestier ivoirien se réduit comme peau de chagrin.
UN HERITAGE FORESTIER CHIMERIQUE
Un troisième souci qui préoccupe M.O est relatif aux déprédations que subissent les forêts classées et plus particulièrement celles de la région Indénié-Djuablin. Pour prendre un exemple, il cite volontiers le cas de la forêt de Bossomatié qui est infiltrée par des clandestins. A entendre M.O, clandestin n’est pas le mot, vu que toutes les autorités sont informées de la présence des intrus dans cette canopée. Avec la complicité active des populations environnantes et celle passive des autorités, notamment des agents des Eaux et Forêts, les infiltrés s’adonnent à toutes sortes de cultures au cœur de la brousse.
Ils pratiquent la chasse, l’abattage des arbres pour exploiter les grumes ou en faire du charbon au vu et au su de tous. Les conséquences sont si graves que les populations en subissent les effets pervers. Récemment, un éléphant certainement harcelé par les actes des infiltrés dans son milieu naturel, est sorti de la forêt en question, a tué deux villageois et blessé certains autres. La rareté et le retard des pluies traduisent également la menace qui prévaut et constituent des indices qui invitent à la prise rapide de mesures pour stopper l’hémorragie.
Beaucoup d’observateurs ici regrettent l’époque où le GTZ allemand gérait la forêt classée de Bossomatié, située dans le département de Bettié. Ces derniers partis, le couvert forestier qui renfermait en son sein des essences et des espèces d’animaux rares, désormais livré à lui-même et aux colons sans foi ni lois, est devenu méconnaissable. Il urge donc de procéder à des déguerpissements afin de préserver ce qui peut encore l’être. Autrement, le pays court vers une catastrophe écologique certaine.